Francis VARENNES – Juriste-Fiscaliste

Francis VARENNES – Juriste-Fiscaliste

Droit de l’entreprise agricole – Droit du tourisme chez l’habitant

FORMATIONS  – PUBLICATIONS   – DIFFUSION

Choix d’un statut juridique, fiscal et social pour la création d’une activité indépendante

(activités commerciales, artisanales et libérales)
EI, AE, EIRL, EURL ou SASU ?

Section 3. Comparer les différentes modalités d’organisation du patrimoine professionnel et du patrimoine privé

 Introduction

Le plus souvent, le créateur d’entreprise s’interroge sur les conséquences patrimoniales de son activité professionnelle à l’égard de son patrimoine privé et familial, notamment en cas de difficultés financières de l’activité professionnelle. En clair, dans quelle mesure le patrimoine privé peut être mis à contribution, pour ne pas dire saisi, afin de payer les dettes dues aux créanciers professionnels si l’entreprise connaît des difficultés insurmontables et laissent des dettes importantes pour faire l’objet d’une liquidation judiciaire ?

En principe, l’entrepreneur individuel dispose d’un patrimoine unique comprenant indistinctement ses biens professionnels et ses biens personnels. En conséquence, les créanciers professionnels et les créanciers personnels peuvent indifféremment faire saisir l’une ou l’autre de ces catégories de biens en cas de difficultés financières.

Dans ces conditions, les chefs d’entreprise sont conduits à réfléchir à la mise en place d’une formule juridique qui protège le patrimoine privé à l’égard des créanciers professionnels en cas de liquidation judiciaire de l’activité professionnelle.

Historiquement, seules les sociétés à responsabilité limitée permettaient cette distinction entre le patrimoine privé de l’entrepreneur et le patrimoine professionnel. Pour ce faire, le législateur a dans un premier temps conçu l’EURL en 1985, puis la SASU en 1999, qui sont des sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée permettant en principe d’assurer la protection du patrimoine privé des associés à l’égard des créanciers professionnels.

Désormais, pour atteindre cet objectif de protection du patrimoine privé, trois possibilités sont envisageables :

– depuis 1985 et 1999, la création d’une société unipersonnelle, telle une EURL ou une SASU, fonde la solution de la séparation du patrimoine professionnel du patrimoine privé avec la création d’une personne morale distincte de la personne physique que constitue le chef d’entreprise et l’application du principe de responsabilité financière limitée des associés à leurs seuls apports réalisés auprès de la société ;

– depuis 2003, la déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels par les chefs d’entreprise individuelle permet une certaine protection du patrimoine privé immobilier à l’égard des créanciers professionnels ;

– depuis 2011, l’adoption du statut d’entreprise individuelle à responsabilité limitée (EIRL) permet une distinction entre le patrimoine privé et le patrimoine professionnel pour les entreprises individuelles qui le souhaitent sans devoir procéder à la création de société.

De façon synthétique, au regard des 5 statuts examinés ci-dessus, les modalités d’organisation de la distinction entre le patrimoine privé et le patrimoine professionnel sont les suivantes :

– pour l’EI-AE, aucune modalité d’organisation juridique du patrimoine professionnel n’existe, sauf éventuellement à constituer une SCI comprenant les biens immobiliers servant à l’activité professionnelle ou à procéder à une déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels ;

– pour l’EIRL, il est fait application du principe d’affectation des biens nécessaires à l’activité professionnelle et de la possibilité d’affectation des biens à usage mixte. Ainsi, seul le patrimoine professionnel affecté est en principe engagé à l’égard des créanciers professionnels ;

– pour les sociétés unipersonnelles (EURL-SASU), la décision d’apport ou non de biens, notamment immobiliers, ou de location des biens immobiliers auprès de la société par l’associé restant propriétaire, détermine le contenu des biens engagés sur le plan professionnel.

 Dans un premier temps, il convient d’examiner plus en détail les différents mécanismes de protection du patrimoine privé (§ 1) pour ensuite constater que cette protection doit le plus souvent être relativisée (§ 2).

§ 1. Choisir (ou ne pas choisir) entre les différents mécanismes de distinction du patrimoine professionnel et du patrimoine privé

A. La déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels

L’article 8 de la loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l’initiative économique (dite loi Dutreil), a formulé le principe tout chef d’entreprise individuelle  (EI, AE, voire EIRL) peut bénéficier de l’insaisissabilité des droits sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale. Par le suite, la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a précisé que cette déclaration d’insaisissabilité peut également concerner tout bien foncier bâti ou non bâti que le chef d’entreprise n’a pas affecté à son usage professionnel (art. L. 526-1 et s. du code de commerce).

D’une façon générale, tous les entrepreneurs individuels, nouveaux ou existants, propriétaires de biens immobiliers non professionnels (habitations, terrains, immeubles divers, etc.), exerçant une activité commerciale, artisanale, libérale ou agricole, y compris les auto-entrepreneurs et les entrepreneurs individuels à responsabilité limitée, peuvent bénéficier de cette déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels.

Cette déclaration a pour objectif, qu’en cas de difficultés financières de l’activité professionnelle, les biens immobiliers non professionnels ne puissent pas être saisis par les créanciers professionnels. La déclaration d’insaisissabilité suppose en principe une déclaration notariée, sauf le cas de la résidence principale.

1. L’insaisissabilité automatique de la résidence principale

Depuis l’entrée en vigueur de la loi Macron du 6 août 2015, l’insaisissabilité de la résidence principale des chefs d’entreprise individuelle s’applique de plein droit, sans que les personnes concernées soient dans l’obligation de souscrire une déclaration notariée d’insaisissabilité (art. 206 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 modifiant l’art. L. 526-1 et s. du code de commerce).

D’une façon générale, les droits d’une personne physique immatriculée à un registre de publicité légale à caractère professionnel ou exerçant une activité professionnelle agricole ou indépendante sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale sont de droit insaisissables par les créanciers dont les droits naissent à l’occasion de l’activité professionnelle de la personne.

Lorsque la résidence principale est utilisée en partie pour un usage professionnel, la partie non utilisée pour un usage professionnel est de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire. La domiciliation de la personne dans son local d’habitation ne fait pas obstacle à ce que ce local soit de droit insaisissable, sans qu’un état descriptif de division soit nécessaire.

2. L’insaisissabilité facultative par acte notarié des autres biens immobiliers

La déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels autres que la résidence principale du chef d’entreprise nécessite la rédaction d’un acte notarié déposé auprès du service de la publicité foncière (ex-bureau des hypothèques). Les frais notariés sont en principe tarifés.

En réalité, les tarifs pratiqués sont variables pour être compris entre 600 et 800 € en fonction des formalités complémentaires qu’il convient d’établir. Sur ce point, il n’est pas inutile de solliciter une prétaxe (c’est-à-dire un devis) auprès de plusieurs offices notariaux au vu de la diversité des pratiques notariales en dépit de la tarification officielle.

Cette déclaration d’insaisissabilité n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits sont nés postérieurement à sa publication, à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant. Ainsi, les biens mentionnés dans cette déclaration ne deviennent insaisissables que pour les dettes professionnelles nées après la publication de ladite déclaration.

Cette déclaration d’insaisissabilité peut éventuellement nécessiter l’établissement d’un état descriptif de division établi par un géomètre-expert en cas d’utilisation d’un même bâtiment pour une partie à un usage professionnel et pour une autre partie à un usage non professionnel.

La déclaration d’insaisissabilité des droits de la personne physique demandant l’immatriculation au registre du commerce et des sociétés sur l’immeuble où est fixée sa résidence principale ou sur tout bien foncier non affecté à son usage professionnel, ainsi que la mention du lieu de la publication de cette déclaration doivent être indiquées dans la demande d’immatriculation (art. R. 526-1 du code de commerce).

La loi sur l’EIRL devait supprimer cette procédure. Celle-ci a finalement été maintenue et est même cumulable avec le statut de l’EIRL.

B. Le statut d’EIRL

En principe, quiconque s’est obligé personnellement, est tenu de remplir son engagement sur tous ses biens mobiliers et immobiliers, présents et à venir (art. 2284 du code civil). Par dérogation au principe précité du droit de gage général des créanciers, la loi du 15 juin 2010 instaurant le statut optionnel d’EIRL permet à une même personne physique de dissocier un patrimoine professionnel et un patrimoine privé (non professionnel) (art. L. 526-5-1 et s. du code du commerce).

Par ce dispositif, les personnes qui  adoptent le statut d’EIRL sont ainsi titulaires de deux patrimoines distincts avec un patrimoine professionnel et un patrimoine personnel (non professionnel ou privé). Cette distinction s’opère par une déclaration d’affectation des biens à usage professionnel auprès du registre compétent (V. Section 1).

Les biens nécessaires à l’activité professionnelle de l’EIRL doivent être déclarés au sein du patrimoine professionnel. A contrario, les biens non nécessaires ne peuvent pas en faire partie.

Il est à noter une incertitude sur l’obligation ou non d’affecter les biens immobiliers servant à l’activité professionnelle. A priori, l’obligation d’affectation est impérative si l’utilisation des biens en question est exclusivement professionnelle. Seules les entreprises agricoles disposent de la possibilité expresse de ne pas affecter les terres qui servent à l’activité de production.

A la différence des sociétés, ce statut laisse une marge de manœuvre assez limitée quant à la possibilité d’inclure ou non les biens dans le patrimoine professionnel. De plus, comme mentionné ci-dessus, il comprend une incertitude sur l’obligation d’affectation des biens immobiliers utilisés pour l’exercice de l’activité professionnelle.

C. L’adoption d’une société à responsabilité limitée : l’EURL et la SASU

La constitution d’une société, qu’il s’agisse d’une EURL ou d’une SASU, conduit à la création d’une personne juridique distincte des associés qui la composent. Ainsi, la société a ses propres créanciers qui n’ont en principe aucun droit à l’égard des associés.

A ce titre, la société permet un apport libre des biens aux choix des associés apporteurs (apports en numéraire, en nature ou en industrie) qui constitue le gage des créanciers professionnels.

Les biens immobiliers servant à l’activité peuvent être apportés à la société. Ils peuvent aussi ne pas être apportés pour faire l’objet d’une simple mise à disposition ou d’une location à la société.

Cette solution de non-apport évite l’intervention notariée et les frais correspondants, l’évaluation par un commissaire aux apports et l’inclusion des biens dans le patrimoine professionnel, gage des créanciers professionnels.

Sur ce point, il est à noter une plus grande souplesse de l’organisation des patrimoines privé et professionnel en société à la différence de l’EIRL qui suppose l’affectation de l’ensemble des biens mobiliers et immobiliers qui servent à l’activité professionnelle.

Il convient toutefois de faire attention aux conséquences juridiques d’une société à responsabilité limitée ayant un capital social trop faible. Cette hypothèse peut conduire à la situation de capitaux propres inférieurs à la moitié du capital social et constituer une faute de gestion pour insuffisance de fonds propres (Voir ci-après).

§ 2. La portée relative de la limitation de responsabilité financière du chef d’entreprise

 D’une façon générale, il convient de ne pas trop s’illusionner sur la portée et l’efficience des techniques de protection du patrimoine privé en cas d’exercice d’une activité professionnelle.

Le plus souvent, les principaux créanciers professionnels que sont les banquiers demandent aux chefs d’entreprise d’apporter des garanties personnelles afin de permettre le remboursement des fonds empruntés en cas de difficultés de l’activité professionnelle.

Dans cette situation, l’adoption d’une formule de protection du patrimoine privé peut s’avérer totalement inefficace et même contre-productive. Il en est ainsi des personnes qui créent une société à responsabilité limitée et qui sont par la suite conduits à se porter caution pour garantir le remboursement des emprunts souscrits par la société.

Il faut donc relativiser le principe de limitation de responsabilité limitée quelle que soit la formule juridique utilisée en prenant en compte :

– les pratiques contractuelles d’exigence de garanties par les créanciers (A),

– l’échec relatif de la déclaration d’insaisissabilité (B),

– l’application du droit des procédures collectives aux dirigeants d’entreprises à responsabilité limitée (C),

– les cas de déchéances de la protection de l’EIRL (D).

A. Les pratiques contractuelles de certains créanciers exigeant des garanties de paiement de leurs créances

1. La pratique du cautionnement des dirigeants de sociétés à responsabilité limitée

Principes

En présence d’une société à responsabilité limitée, telle une EURL ou une SASU, le principe est que le patrimoine privé du chef d’entreprise est hors de portée des créanciers professionnels qui n’ont à connaître que la société. En réalité, cette protection est le plus souvent illusoire en raison de la pratique contractuelle imposée par les principaux créanciers.

En la matière, la pratique la plus courante consiste à ce que l’associé dirigeant doive se porter caution, notamment à la demande des principaux créanciers que sont les banquiers, en engageant ainsi l’ensemble de son patrimoine personnel pour garantir les emprunts bancaires souscrits par la société. En vertu du contrat de cautionnement, celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur (dans le cas présent la société) n’y satisfait pas lui-même (art. 2288 du code civil).

Autant dire que dans ce cas, la limitation de responsabilité de l’associé est réduite à néant puisqu’en cas de défaillance de la société, le chef d’entreprise engagé en tant que caution est redevable de l’ensemble des dettes dues au profit du créancier bénéficiaire du contrat de cautionnement, sauf à invoquer la déchéance du cautionnement présentée ci-après.

Portée du cautionnement des dirigeants de sociétés

En raison notamment des pratiques bancaires, le législateur a tenté de limiter la portée du cautionnement des dirigeants de sociétés (à l’instar de la protection des consommateurs qui ont souscrit ce type de contrat).

En premier lieu, les banques doivent informer les cautions des entreprises avant le 31 mars de chaque année du montant de la garantie et de la possibilité de révocation avec sanction de libération des intérêts (art. L 313-22, al. 1 du code monétaire et financier).

Le défaut d’accomplissement de la formalité précitée emporte, dans les rapports entre la caution et l’établissement tenu à cette formalité, la déchéance des intérêts échus depuis la précédente information jusqu’à la date de communication de la nouvelle information ;

En second lieu, les banques ne peuvent pas invoquer un cautionnement disproportionné par rapport aux revenus et au patrimoine de la caution. Ainsi, un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné par rapport à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation. (art. L. 341-4 du code de la consommation).

Au vu des termes très généraux de cette formulation, cette disposition est applicable au cas par cas, bien évidemment à l’issue d’une procédure judiciaire, les banques ne reconnaissant jamais à l’amiable qu’elles ont accepté un cautionnement disproportionné (Cass 31/01/2012, n° 10-28291 ; Cass. 9/4/2013, n° 12-17892).

La disproportion s’apprécie lors de la conclusion de l’engagement au regard du montant de l’engagement et des biens et revenus de la caution (Cass. 5/04/2011, n° 10-18106).

Ces mesures protectrices peuvent être invoquées par le dirigeant de sociétés qui s’est porté caution. Il est à noter que la jurisprudence rendue dans ce domaine est très aléatoire et que ces textes sont forcément invoqués a posteriori, alors que l’entreprise connaît les plus grandes difficultés, assez souvent irrémédiables.

La renonciation à l’insaisissabilité au profit de certains créanciers

En cas de déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels, chaque créancier peut exiger du chef d’entreprise débiteur qu’il renonce à la déclaration d’insaisissabilité au profit du créancier demandeur.

Cette solution est clairement formulée par le 2ème alinéa de l’article L. 526-3 du code de commerce qui précise en ces termes : « L’insaisissabilité des droits sur la résidence principale et la déclaration d’insaisissabilité portant sur tout bien foncier, bâti ou non bâti, non affecté à l’usage professionnel peuvent, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation qui peut être faite au bénéfice d’un ou de plusieurs créanciers ».

La pratique peut même consister à ce que le principal créancier (que l’on appellera pudiquement le prêteur de deniers) incite l’emprunteur à souscrire une déclaration d’insaisissabilité avec une renonciation du débiteur de cette mesure à l’égard du créancier. Dans ce cadre, la procédure d’insaisissabilité est opposable à l’ensemble des autres créanciers, sauf au créancier à l’origine de la mise en œuvre de la mesure qui bénéficie immédiatement de la renonciation de la déclaration d’insaisissabilité à son profit.

La renonciation à l’affectation de l’EIRL au profit de certains créanciers

En cas d’adoption du statut d’EIRL, les auteurs commentateurs estiment qu’aucune disposition n’interdit à ce que l’EIRL renonce à la procédure d’affectation à l’égard de certains créanciers professionnels. Autrement dit, l’intéressé dans ce cas engage l’ensemble de son patrimoine privé à la demande et au profit de certains créanciers professionnels bénéficiaires de cette renonciation acceptée par le débiteur par convention.

Cette pratique est équivalente à celle qui concerne la déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels et la renonciation de cette déclaration inopposable à l’égard de certains créanciers telle que mentionnée ci-dessus.

B. L’échec relatif de la déclaration d’insaisissabilité

Explicitement reconnue par la loi du 4/8/2008, la déclaration d’insaisissabilité peut, à tout moment, faire l’objet d’une renonciation soumise aux mêmes conditions de validité et d’opposabilité.

La renonciation peut porter sur tout ou partie des biens et peut être faite au bénéfice d’un ou plusieurs créanciers professionnels désignés par l’acte authentique de renonciation.

De plus, lorsque le bénéficiaire de cette renonciation cède sa créance, le cessionnaire peut se prévaloir de celle-ci. Rappelons que cette mesure n’a d’effet qu’à l’égard des créanciers dont les droits naissent après la publication à l’occasion de l’activité professionnelle du déclarant.

Il est à noter la dernière jurisprudence selon laquelle le liquidateur de l’entreprise individuelle en procédure de liquidation judiciaire ne peut pas mettre en vente aux enchères les biens déclarés insaisissables (Cass. 28/6/2011, n° 10-15482).

C. L’application du droit des procédures collectives aux dirigeants : sociétés ou EIRL

Lorsque l’entreprise connaît de graves difficultés financières au point de faire l’objet de l’une des procédures collectives que constituent les procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire, les conséquences sont sans appel s’il s’agit d’une entreprise individuelle sans protection du patrimoine privé.

Il convient d’examiner plus particulièrement la situation du chef d’entreprise à la tête d’une entité juridique qui en principe permet la protection du patrimoine privé. Sur ce point, il faut aborder les cas où le chef d’entreprise, en principe bénéficiaire d’une responsabilité limitée, peut tout de même être personnellement mis à contribution pour payer les dettes professionnelles en raison de fautes de gestion (1) en présentant une série de cas concrets qui peuvent conduire à cette situation (2).

1. Principes de la responsabilité pour insuffisance d’actifs et fautes de gestion

La distinction entre le patrimoine privé et le patrimoine professionnel dans le cadre d’une société à responsabilité limitée ou d’une EIRL ne constitue pas un principe absolu, quand bien même le chef d’entreprise ne s’est pas porté caution. La protection du patrimoine privé peut être remise en cause par les juges notamment en cas de liquidation judiciaire de l’entreprise.

Autrement dit, le chef d’entreprise d’une entité à responsabilité limitée peut être personnellement mis à contribution, en raison des fautes de gestion commises, pour payer les dettes professionnelles, sans nécessairement s’être porté caution.

Ainsi, lorsque la liquidation judiciaire d’une personne morale fait apparaître une insuffisance d’actif, le tribunal saisi dans le cadre d’une procédure collective peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette situation, décider que le montant de cette insuffisance d’actif sera supporté, en tout ou en partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d’entre eux, ayant contribué à la faute de gestion (art. L. 651-1 et s. du code de commerce).

Pour mémoire, la responsabilité pour insuffisance d’actif correspond à l’ancienne action en comblement de passif.

Il est à noter qu’en cas de simple négligence du dirigeant de droit ou de fait dans la gestion de la société, sa responsabilité au titre de l’insuffisance d’actif ne peut être engagée (art. L. 651-2 du code de commerce).

Cette procédure a été transposée à l’EIRL puisque lorsque la liquidation judiciaire a été ouverte ou prononcée à raison de l’activité d’un entrepreneur individuel à responsabilité limitée à laquelle un patrimoine est affecté, le tribunal peut, dans les mêmes conditions, condamner cet entrepreneur à payer tout ou partie de l’insuffisance d’actif. Dans ce cas, les sommes mises à la charge de l’EIRL s’imputent sur son patrimoine non affecté (c’est-à-dire non professionnel), s’il s’avère que l’EIRL est l’auteur de fautes de gestion.

2. Illustration des fautes de gestion conduisant à la condamnation du chef d’entreprise

Principes

Les textes législatifs ne formulent pas de définition précise de la notion de faute de gestion. En revanche, la jurisprudence a qualifié différentes hypothèses comme correspondant à cette notion de faute de gestion susceptible d’être reprochée aux dirigeants de sociétés à responsabilité limitée (et désormais aux EIRL).

Il en est ainsi notamment des cas suivants :

– la non-déclaration de l’état de cessation des paiements de l’entreprise,

– la réalisation d’investissements et la prise d’engagements hasardeux,

– le non-paiement des dettes envers le Trésor public ou les organismes sociaux,

– le paiement préférentiel de certains créanciers en période suspecte,

– la poursuite d’une activité déficitaire,

– la poursuite de l’activité dans un intérêt personnel,

– le recours à des moyens ruineux,

– le défaut de tenue de comptabilité ou la tenue d’une comptabilité irrégulière,

– le manquement du dirigeant à ses devoirs et aux obligations légales.

Fonds propres insuffisants et faute de gestion des dirigeants

Selon la Cour de cassation, la création d’une société qui se retrouve en liquidation judiciaire avec un capital social trop faible, sans disposer de fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales et tout en poursuivant l’activité sans prendre aucune mesure pour remédier à cette insuffisance de fonds propres, peut conduire à considérer que le dirigeant a commis une faute de gestion (art. L. 651-2 du code de commerce).

Dans ce cas, le dirigeant de la société concernée peut être mis à contribution sur son patrimoine personnel pour payer les dettes de la société sur le fondement de la responsabilité pour insuffisance d’actif, alors même qu’il n’est pas caution en faveur de la société (Cass. 23/11/1999, n° 97-12834).

D. Tenir compte des cas de déchéances de la protection de l’EIRL

L’adoption du statut d’EIRL et la déclaration d’affectation est en principe opposable de plein droit aux créanciers dont les droits sont nés postérieurement à l’adoption du statut d’EIRL.

Toutefois, l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée est responsable sur la totalité de ses biens et droits en cas de fraude ou en cas de manquement grave aux principes qui régissent ce statut (art. L. 526-12 du code de commerce).

Il en est ainsi dans les cas suivants :

– le non-respect des règles d’affectation des biens professionnels qui par erreur seraient restés dans le patrimoine privé (2ème alinéa de l’article L. 526-6) ;

– l’absence de tenue d’une comptabilité ;

– l’absence d’ouverture d’un compte bancaire propre à l’activité professionnelle (art. L. 526-13 du code de commerce).

De même, l’opposabilité du statut d’EIRL aux créanciers professionnels est applicable sous réserve des cas d’exclusion suivants :

– une différence de valeurs est constatée entre les biens évalués par l’expert et les valeurs retenues dans la déclaration d’affectation ;

– l’absence d’évaluation par l’expert des biens affectés.

Tableau comparatif des différentes formules juridiques

 

Formalisme

de création

Contraintes

de fonctionnement

Responsabilité

financière

EI 

Simple déclaration au CFE compétent

Peu de contraintes

Pas de protection du patrimoine privé sauf insaisissabilité automatique de la résidence principale

Possibilité de déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels

AE

Simple déclaration au CFE compétent

(sauf adoption statut EIRL)

(V. ci-dessous)

Peu de contraintes

(sauf adoption statut EIRL)

Pas de protection du patrimoine privé

(sauf adoption statut EIRL)

Sauf insaisissabilité de la résidence principale  et déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers non professionnels

EIRL

Déclaration d’affectation des biens professionnels

Intervention notariée pour biens immobiliers

Déclaration d’affectation complémentaire

Publication des comptes ou dépôt d’un relevé d’actualisation du patrimoine affecté

En principe limitée aux biens affectés au patrimoine professionnel

EURL

Rédaction de statuts

Commissaire aux apports pour les apports en nature

(sauf cas de dispense)

Dépôt des comptes obligatoire

Sanctions pénales possibles

En principe limitée aux apports en capital social faits à la société

Toutefois pratiques courantes de garanties personnelles exigées par les banquiers

SASU

Rédaction de statuts

Commissaire aux apports pour les apports en nature

(sauf cas de dispense)

Dépôt des comptes obligatoire

Sanctions pénales possibles

En principe limitée aux apports en capital social faits à la société

Toutefois pratiques courantes de garanties personnelles exigées par les banquiers